LES OISEAUX NOIRS : LES LOCKHEED A-12, YF-12 et SR-71

Texte Olivier Boyer, Photos Olivier Boyer et Robin Moret

LE A-12

Le Lockheed A-12 a été développé spécifiquement pour la CIA qui voulait un avion pour mener des opérations de surveillance et de reconnaissance.

Le programme était connu sous le nom de code Oxcart. Il fut mené sous la direction de l’ingénieur aéronautique Clarence « Kelly » Johnson.

L’appareil monoplace #60-6924 a réalisé le 26 avril 1962 sa toute première évolution dans le ciel du Nevada, à Groom Lake (également connu sous le nom de zone 51). Louis W. Schalk eut l’honneur d’effectuer ce vol inaugural.

Le A-12 ♯60-6924 (premier prototype, connu sous l’appellation « article 121 ») est exposé au Blackbird Air Park près du Palmdale Test Center sous le soleil de Californie. A côté de lui repose le Lockheed SR-71A Blackbird ♯64-17973

Le A-12 ♯60-6924 a atteint la folle vitesse de Mach 3.3 en janvier 1964. Après 322 vols représentant 418 heures, l’avion fut définitivement stocké à Palmdale Plant 42, l’usine de Lockheed, le 6 juin 1968. Il est exposé dans l’Air Park depuis septembre 1991.

Quinze exemplaires du A-12 ont été construits, après une mise au point laborieuse. En effet, à l’époque tout était nouveau sur cet avion : les réacteurs, les matériaux (avec emploi d’alliages de titane), les fluides, les pneumatiques, le système de navigation…

Le dernier vol d’un A-12 eut lieu le 21 juin 1968. Ce fut à bord du ♯60-6937, exposé en extérieur au Southern Museum of Flight,près de Birmingham, en Alabama, après seulement 345 heures en 177 vols, ce qui semble peu.

Sa dernière mission se déroula avec un code de dérive ♯77835. Comme les deux empennages verticaux pouvaient s’échanger, étant symétriques, des numéros de dérives trompeurs peuvent apparaître…

Le 5 juin 1968, le pilote de la CIA Jack Weeks, originaire de Birmingham, trouva la mort à bord du ♯60-6932 au-dessus de la Mer des Philippines durant un vol de contrôle (FCF ou Functional Check Flight)…quelques jours avant le retrait définitif des A-12 ! Une de ses combinaisons conçue par la compagnie Dave Clark du type S901 utilisée jusqu’en 1974, est exposée au Southern Museum of Flight.

Le F-12

Le 30 septembre 1964, le nouveau chasseur Lockheed YF-12A fut dévoilé à la presse sur le terrain d’essais d’Edwards en Californie. Ce prototype était biplace, le pilote installé à l’avant et le Fire Control Officer (FCO) à l’arrière, tous deux assis sur des sièges éjectables. Dans le nez pointu de cette version d’interception prenait place un radar Doppler Hugues ASG-18. Des soutes ventrales pouvaient contenir les nouveaux missiles air-air à longue distance AIM-47A développés par Hugues. Deux cellules infrarouges destinées au guidage de missiles formaient l’avant de chacun des carénages latéraux du fuselage.

Le premier vol du YF-12 eut lieu le 7 août 1963, avec James D. Eastham aux commandes du #60-6934.

La navigation était assurée pour la première fois grâce à une centrale à inertie. Les réacteurs Pratt & Whitney J58 offraient une poussée unitaire de 15 tonnes avec post-combustion. Le cône régulateur de l’entrée d’air principale était fixe sur cette version. L’avion volait à haute altitude avec une assiette cabrée très importante, ce qui explique pourquoi les deux fuseaux moteurs étaient calés à une incidence négative prononcée…

Les trois quilles ventrales assuraient la stabilité longitudinale à très haute vitesse (stabilité en roulis). La manœuvre de rentrée ou sortie des trains d’atterrissage commandait la descente ou l’effacement de la quille principale centrale de fuselage.

Un certain nombre de records de vitesse et d’altitude ont été établis par le YF-12A #60-6936 le 1er mai 1965. Ce prototype s’écrasa hélas le 24 juin 1971. L’avion s’avéra délicat à piloter et la transformation des équipages posa quelques sueurs… Lancer un missile à Mach 3 restait aussi un problème…

Il n’y eut au total que trois prototypes d’un avion jamais entré en service opérationnel car le programme fut annulé par l’Administration Kennedy.

La NASA récupéra les avions et les utilisa dans les années 1970.

Le dernier vol d’un YF-12 eut lieu le 7 novembre 1979.

L’exemplaire- repose au National Museum of the US Air Force à Dayton, dans l’Etat de l’Ohio (photo sur le site de spotair.fr), un grand musée qu’il me reste à visiter !

Le SR-71

Auparavant, le 24 juillet 1964, le président américain Johnson annonça qu’un nouvel avion de reconnaissance appelé SR-71 allait voir le jour, un biplace également, avec pilote et Reconnaissance Systems Officer. Et ce fut à Palmdale qu’eut lieu le 22 décembre 1964 le vol inaugural du SR-71 #64-17950 piloté par Robert J. Gilliland. Cet exemplaire sera détruit à Edwards le 10 janvier 1967.

Le #64-17958 fut le premier SR-71A livré à l’US Air Force le 10 mai 1966. Il fut remis au 4200th Strategic Reconnaissance Wing de Beale Air Force Base, Californie (qui allait bientôt devenir le 9th SRW). Le 28 juillet 1976, ce même SR-71A battait des records d’altitude et de vitesse.

Le #64-17958 atterrit définitivement le 23 février 1990 à Robins Air Force Base pour être restauré et abrité depuis au Warner Robins Museum of Aviation,Georgie.

Le Lockheed SR-71 Blackbird était basé sur la même conception que le A-12.

Il a été construit à 32 exemplaires (toutes versions confondues) pour l’US Air Force qui l’utilisa de manière opérationnelle et intensive de 1968 à 1990.

Ses capteurs étaient capables de couvrir un territoire de plus de 250 000 km² par heure de vol !

Cette version avait un fuselage à flancs à lame de couteau, différent donc de celui plus classique du YF-12A ; les quilles ventrales avaient disparu.

Deux exemplaires d’une version d’entraînement nommée SR-71B ont été produits. Cette version possédait deux canopées, le second cockpit étant en position arrière très haute sur la crête du fuselage. Les deux dérives ventrales de fuseaux moteurs avaient été réinstallées sur cette version, mais pas la quille centrale repliable sous l’arrière du fuselage (ceci dans le but de compenser la perte de stabilité due au second cockpit surélevé).

Les opérations aériennes du SR-71 nécessitaient une mobilisation logistique importante, notamment une flotte d’avions ravitailleurs spécialisés, les KC-135Q capables de fournir le carburant spécial JP-7. 56 ravitailleurs Boeing KC-135A avaient été spécialement modifiés.

Le SR-71 décollait les réservoirs de carburant bien loin d’être remplis afin d’améliorer les performances mais aussi pour avoir une faible masse au décollage (MTOW ou Maximum Take-Off Weight) et réduire les contraintes sur la structure en cas d’atterrissage d’urgence. Dans le même ordre d’idées, les trains étaient rapidement rentrés sitôt l’avion en vol.

Un premier ravitaillement se déroulait en général à l’altitude de 24000 ft (soit 7300 m) à Mach 0.9. Les ravitaillements suivants s’effectuaient après une pointe de vitesse à Mach 3 qui permettait à la structure de l’avion de se dilater et d’assurer ainsi l’étanchéité des réservoirs.

Les SR-71 furent mis à la retraite en 1990…Le #64-17960 fut l’auteur du dernier vol officiel pour l’US Air Force le 26 janvier 1990. Restaient alors les vols vers les musées pour une retraite bien méritée !

Ainsi, le 12 février 1990, le Blackbird ♯64-17968 fut retiré du service après 2279 heures de vol. Le 26 avril 1971, ce SR-71 avait effectué un test d’endurance parcourant 15 000 miles (soit environ 24 000 km) en 10 heures 30 minutes. Les réacteurs J58-JT11D-20 et la cellule avaient été éprouvés lors de ce vol (…l’équipage aussi sans doute !). Cinq ravitaillements en vol furent nécessaires.

Un réacteur J58 est d’ailleurs exposé au Blackbird Air Park.

Le SR-71A ♯64-17968 a été longtemps exposé en extérieur en compagnie d’un Grumman F-14A au Virginia Aviation Museum que j’ai visité en 2012, tout près de Richmond International Airport (photos sur le site de spotair.fr). Suite à la fermeture de ce musée en janvier 2016, l’avion a été déplacé par voie terrestre au Science Museum of Virginia, toujours à Richmond (ville pas très éloignée de Washington D.C.).

Le SR-71A ♯64-17972 a été présenté lors du Farnborough Airshow 1974 en Angleterre, après avoir battu le record de traversée de l’Océan Atlantique en 1 heure 55 minutes le 1er septembre 1974…Treize jours plus tard, ce même avion reliera Londres à Los Angeles sur la Côte Ouest des USA en 3 heures 48 minutes. L’avion repose dans le splendide Steven F. Udvar-Hazy Center, proche de Washington-Dulles International Airport, Virginie, où il y atterrit le 6 mars 1990 devant une foule conséquente.

Durant ce tout dernier vol, le pilote Ed Yielding et son RSO Joseph Vida ont établi un record de vitesse reliant Los Angeles à Washington D.C. en 1 heure 4 minutes et 20 secondes à la moyenne de 3418 km/h ! Un musée à considérer car riche d’une collection hors norme (avec la navette spatiale Discovery).

Le SR-71A ♯64-17973, comme vu auparavant, est exposé au Blackbird Air Park, à Pamdale, Californie.

En 1975, le SR-71A ♯64-17959 a été choisi par Lockheed pour servir de banc de test pour de nouveaux équipements. En arrière du fuselage fut fixée une pointe de 2,75 mètres abritant une caméra oblique et des équipements de contre-mesures électroniques (projet Big Tail). Le premier vol avec cet équipement eut lieu le 3 décembre 1975. S’il n’y a pas eu de dégradation notable des performances, cette coûteuse modification n’a pas apporté de gain opérationnel significatif et fut vite abandonnée. Ce projet est rarement abordé dans la littérature spécialisée…

Le SR-71A ♯64-17959 est visible avec son appendice à l’Air Force Armament Museum près de Eglin Air Force Base, Floride, en extérieur. Il porte les anciens marquages de l’US Air Force avec gros insignes de nationalité.

Le SR-71A ♯64-17975 est lui visible à l’intérieur du March Field Air Museum, près de March Air Reserve Base, en Californie, où il s’est définitivement posé le 28 février 1990. Les verrières de cet avion sont ouvertes, chose plutôt rare dans les musées.

Assis à l’arrière, le Reconnaissance Systems Officer (RSO) disposait de deux petits hublots et d’un viewscope ventral pour regarder à l’extérieur. Cet exemplaire a effectué 82 sorties durant la guerre du Vietnam.

Voilà, ce petit tour américain s’achève sachant qu’on rencontre d’autres avions noirs du constructeur Lockheed dans d’autres lieux des Etats-Unis…

Ces trois modèles d’avions Lockheed ont débuté quasi en même temps mais n’ont pas eu la même carrière…

Ils étaient capables d’atteindre et surtout de maintenir une vitesse de Mach 3+ grâce aux deux réacteurs Pratt & Whitney J58 qui furent considérés comme une réussite aéronautique certaine à l’époque.

En septembre 1994, le Congrès Américain vota un budget de 100 millions de dollars pour permettre la réactivation du SR-71 pour la NASA. Le tout dernier vol d’un SR-71 pour l’agence spatiale (NASA 844) a eu lieu le 9 octobre 1999.

Pour ma part, je regrette de ne pas l’avoir vu voler !

Mais je me console en me rappelant les vols de notre Mirage IV national, qui eut bien atteint officieusement des vitesses de Mach 2,35…Pas mal quand même !

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