Texte et photos Clément Ducasse
- La base
Moody Air Force Base est une base de l’United States Air Force située dans le sus de l’État de Géorgie près de la ville de Valdosta.
La base fut construite en 1941 sur le site de Moody Fields par le 29th Training Wing pour la formation initiale au pilotage. Appelée originellement Vadolsta Airfield en juin 1941, la base fut renommée Moody Army Air Field le 6 Décembre 1941. La base est nommée en l’honneur du Major George Moody (1908-1941) tué en mai 1941 dans le crash du prototype du Beech Model 25, un appareil d’entraînement bimoteur, lors d’un vol d’essai à Wichita dans l’état du Kansas. Le Beech Model 25 deviendra d’ailleurs le AT-10 “Wichita” utilisé à Moody Fields durant toute la Seconde Guerre Mondiale. La base change de nom une dernière fois le 13 janvier 1948 pour devenir définitivement Moody Air Force Base.
La base changera régulièrement de commandement, passant par l’Air Training Command (1951-1975), puis le Tactical Air Command (1975-1992), suivi de l’Air Combat Command (1992–2003), un passage par l’Air Education and Training Command (2000–07) et l’Air Force Special Operations Command (2003–06) pour finalement être sous l’égide de l’Air Combat Command (2006–présent).
En juin 2023, l’USAF annonce que deux escadrons de Lockheed Martin F-35A Lightning II y seront basés en remplacement des vénérables Fairchild A-10C Thunderbolt II.
La base m’a été décrite comme une “petite” base selon les standards de l’USAF. Elle m’a semblé plus grande que la plupart de nos bases françaises !




- Le A-10C
Le Fairchild Republic A-10 Thunderbolt II, plus connu sous le nom de « Warthog », est un avion américain d’appui aérien rapproché, en service depuis 1977. Il fut spécialement conçu pour ce rôle durant la guerre du Viêt Nam à partir des leçons tirées de l’usage du Skyraider.
Il est résistant, avec notamment un poste de pilotage renforcé par un blindage en titane conçu pour résister des coups directs de la défense antiaérienne et ainsi maximiser la survie du pilote. Il permet ainsi de rentrer à la base en ayant encaissé des dégâts importants à sa cellule, et même avec un juste seul moteur opérationnel. Les moteurs sont d’ailleurs montés sur des nacelles séparées afin de minimiser les dommages de l’un vers l’autre tout en maximisant l’accessibilité pour l’entretien sur des bases avancées ou projetées.
Le A-10 a été conçu et construit autour de son armement principal : le canon automatique de 30 mm GAU-8 Avenger. Ce canon de type “Gatling” (rotatif à haute cadence de tir) peut tirer jusqu’à 3 900 projectiles à la minute (soit 65 obus par seconde) !! Le bruit perçu au sol du GAU/8, très caractéristique et puissant, a un effet psychologique non négligeable tant sur les troupes alliées que sur les ennemis. Le soutien venant du ciel pour les uns, la peur pour les autres. (Note personnelle: au cours de la visite, j’ai pu entendre le fameux “BRRRRRTTTT” à plus de 6 kilomètres de distance! Un bruit reconnaissable entre mille). La force de recul du GAU-8 est de 45 kN, ce qui est légèrement supérieur à la poussée de l’un de ses deux propulseurs TF34, qui est de 40,6 kN chacun. Cette force de recul est tellement importante qu’en pratique, l’utilisation du canon ralentit l’avion de quelques km/h!
En plus du canon, l’A-10C dispose de 11 points d’emport : 8 sous les ailes, et 3 sous le fuselage, permettant d’attacher une très grande variété de munitions et équipements. On pourra noter des roquettes guidées ou non, des missiles Maverick à guidage télé, des missiles à courte portée et guidage infrarouge d’auto-défense AIM-9 Sidewinder; et bien entendu une très grande gamme de bombes à guidage laser, GPS, inertiel et autres. Également, des nacelles de contre-mesures électroniques ou de désignation de cible peuvent être emportées pour augmenter les capacités de combat de l’appareil. Pour finir, des bidons externes peuvent être installés pour les convoyages lointains.
Le A-10C est un véritable “bomb truck” (camion à bombes) permettant une extraordinaire variété de missions dans tous les théâtres d’opérations du monde.
Il existe deux versions principales, le A-10A, la version initiale de l’appareil, ainsi que le A-10C qui est une version modernisée avec une nouvelle avionique et bien plus adaptée aux conflits actuels. Entre 2005 et 2011, plus de 300 appareils ont reçu cette amélioration. On notera également qu’une campagne de remplacement des ailes a été lancée pour rallonger la durée de vie de l’appareil après 2040.
Construit à plus de 700 exemplaires, il n’a servi que sous les couleurs américaines au sein de l’United States Air Force, l’Air Force Reserve Command (AFRC) et la Air National Guard (ANG)
Aujourd’hui, il reste un peu plus de 200 appareils encore en service. Mais l’état-major américain considère que cet avion n’est plus adapté à l’environnement moderne. Ils seront progressivement retirés de l’inventaire d’ici 2028, voire plus tôt. Leur remplaçant direct le plus probable est le F-35A Lightning II.





- Les Flying Tigers
Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les 74th et 75th Fighter Squadrons furent deux des trois escadrons originels (74th, 75th, 76th) du 23d Fighter Group. Le 23d est l’héritier du légendaire 1st American Volunteer Group (AVG), les fameux Flying Tigers, de l’armée de l’air chinoise. Quand l’AVG fut dissous, plusieurs membres de l’AVG rejoignirent les rangs de l’United States Air Force. Le 74th (anciennement 1st Fighter Squadron) retint le nom de “Flying Tigers” et le 75th (anciennement 2nd Fighter Squadron) prit celui des “Tiger Sharks”
Les 74th et 75th furent les premiers escadrons du 23d à subir l’expérience des combats aériens en Extrême Orient. Le Groupe utilisa des Curtiss P-40 Warhawks puis des North American P-51 Mustang pour couvrir une grand variété de missions dans une zone de combats très étendue. Leur théâtre d’opérations s’étendait de la Chine à Burma et de l’Indochine (actuel Viêt-nam) jusqu’à Formosa.
Leurs missions consistaient principalement à la défense anti-aérienne, bombardement et mitraillage au sol des troupes et installations japonaises, escorte de bombardiers, reconnaissance aérienne et interception de raids aériens ennemis. L’excellence du Groupe fut reconnue par l’obtention de la Distinguished Unit Citation pour sa performance exceptionnelle pendant la guerre.
Alors basé à England Air Force Base en Louisiane, c’est au cours de l’été 1981 que le 74th et 75th se transforment de l’A-7 Corsair II vers le A-10 Thunderbolt. En 1992, alors basé à Pope Air Force Base en Caroline du Nord, le 74th passe temporairement sur General Dynamic F-16C Fighting Falcon. Puis en 1996, l’escadron revient finalement sur A-10. Les deux escadrons se déplacent définitivement à Moody Air Force Base à compter de 2006, toujours sur A-10.
Le 74th et 75th ont été tous deux fortement impliqués dans les conflits modernes. Au cours de la Guerre du Golfe, le 74th s’illustra avec plus de 8000 sorties opérationnelles pour seulement 7 pertes pendant que le 75th assurait l’écolage et la formation sur la base de England AFB. Les deux escadrons combattirent au sein de la coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie entre 2015 et 2017 dans la lutte contre l’Etat Islamique (ISIS). Le 75th prenant part aux opérations Spartan Shield and Operation Freedom’s Sentinel, et le 74th à Inherent Resolve.
Aujourd’hui, on retrouve l’héritage des Flying Tigers par la gueule de tigre dessinée sur de nombreux appareils (nose art). Ce sont les seuls escadrons encore en activité à arborer de telles décorations de manière opérationnelle. Si la gueule n’est pas là, on les reconnaîtra par leur code de dérive “FT” (pour Flying Tigers) qui désigne l’escadron plutôt que la base à laquelle ils appartiennent.





- Visite de la journée
- Arrivée sur base
Rendez-vous fixé à 8 heures à l’entrée de la base. Nous sommes 5, deux Anglais, un Allemand, deux Hollandais et moi-même. C’est une visite vraiment privée! Nous sommes accueillis par le 1st Lieutenant Benjamin. Comme à l’accoutumée, un petit briefing nous est passé, les règles de sécurité habituelles et bienveillantes pour une base militaire active.
- Visite du tarmac
Après un rapide passage dans la salle de briefing et la salle de repos des équipages, nous sommes invités à aller sur le tarmac pour profiter des quelques machines sur place. Cinq Thunderbolts II nous attendent en plein soleil. Quelques mécanos et pilotes préparent les vols du matin. Un peu plus loin, plusieurs hélicoptères HH-60W Pave Hawk du 41st Rescue Squadron sont également présents. Nous sommes autorisés à nous en rapprocher.
En fin de journée, nous passerons quelques minutes sur le tarmac du 71st Rescue Squadron où sont stationnés leurs HC-130J Combat King II.
Je reconnais certains HC-130J que j’ai pu photographier à Las Vegas au cours d’un exercice Red Flag en 2023, et des A-10C vus à Coronado Beach en 2023!









- En place pour les décollages
Avec l’accord de la tour, nous passons de l’autre côté des pistes pour avoir le soleil dans le dos et être au plus près des décollages. Deux machines se présentent puis nous passent à quelques mètres. Malgré la proximité, l’A-10C est étonnamment silencieux pour un chasseur moderne. En effet, ses moteurs ne sont pas équipés de post-combustion, lui permettant de réduire sa signature sonore et thermique, assurant une meilleure survivabilité en mission de combat.
Au cours de notre présence, nous assistons à un ballet des hélicoptères avec des simulations d’atterrissage d’assaut. Nous aurons également droit à “hot refuel” opéré par deux A-10, c’est-à-dire un ravitaillement en carburant alors que les moteurs restent allumés. Sitôt posés, les deux appareils se présentent à la “pompe à essence”. En quelques minutes à peine, les deux Thunderbolt sont prêts à repartir, ils nous taxient si proche que leurs ailes nous frôlent avant de repartir en mission. Cela démontre la capacité du A-10 à mener des opérations en continu pour le soutien aux troupes au sol en zone de combat intensive.
- Visite de l’atelier
Nous allons maintenant faire un tour dans un hangar où une machine est pleine maintenance. Nous serons autorisés à photographier l’avion sous toutes les coutures, sauf les moteurs dont les capots sont ouverts. Les yeux s’en rappelleront avec délectation!
- Visite de l’air park (pots de fleurs)
Comme sur de très nombreuses bases, un musée à ciel ouvert (Air Park) permet d’exposer les avions sur lesquels l’escadron a pu voler. Les avions sont superbement maintenus. A se demander s’ils ne sont pas encore en état de vol ! Seul un P-40 Warhawk est préservé à l’ombre avec une plaque commémorant les origines et le fier héritage qu’il porte.
- Visite du musée
Pour finir, nous passons par le musée de la base. Il est constitué d’une grande pièce permettant d’organiser des cérémonies commémoratives, avec de nombreuses vitrines regorgeant de plus de 70 ans d’histoire. De nombreux artefacts, uniformes, carnets, médailles et autres objets rendent hommage à toutes les femmes et les hommes qui ont servi cet escadron. La visite fut assurée par le conservateur lui-même du musée, nous contant moult anecdotes sur l’histoire si riche de ces escadrons.







- Interview par questionnaire
J’ai pu interviewer la Captain Stacia “Match” Madsen, 33 ans, originaire de Ivins dans l’Utah, pilote au sein du 75th Fighter Squadron.
- Comment et pourquoi êtes-vous devenue pilote de chasse?
J’ai rencontré une pilote de F-16 à la fin de ses études en MBA (Master of Business Administration). Cette rencontre m’a ouvert les yeux sur des possibilités dont j’ignorais l’existence. Poussée par la passion et l’envie d’une carrière stimulante et engageante, je me suis vite rendue dans un centre de recrutement de l’USAF pour devenir pilote à mon tour.
- Quel est votre parcours au sein de l’USAF ?
Après l’écolage, j’ai été sélectionnée pour être First Assignment Instructor Pilot (FAIP – Pilote Instructeur) sur T-38C pendant 4 ans. J’ai ensuite été sélectionnée pour voler sur A-10C, mon premier choix! J’étais tellement heureuse de pouvoir piloter cet avion.
- Comment se pilote un Thunderbolt ?
Le Thunderbolt est un avion très stable et pardonne bien plus que le T-38C, mais il demande bien plus d’attention de par les missions qui lui sont confiées. Nous sommes formés pour assurer le Close Air Support, missions d’Interdiction et de Suppression, CSAR (Combat Search and Rescue) ainsi que Forward Air Controller. Cette excellence nécessite énormément d’entraînement, connaissance et compétence en gestion de systèmes d’armes et tactiques pour s’intégrer dans un environnement de combat moderne.
Le A-10C fait partie intégrante dans le Joint Tactical Air Controllers (JTACs) pour apporter le soutien aérien à l’US Army et le personnel au sol.
Concernant les machines, bien qu’identiques, chacune a un feeling différent quand on les pilote. Chaque vol nécessite de bien anticiper et préparer tant la mission que l’appareil sur lequel je vais voler pour mener à bien la mission en toute sécurité.
- Après le A-10C?
La plupart des pilotes sont transformés sur F-35 quand ils changent d’affectation. A ce jour, je ne sais pas encore sur quel appareil je serai affectée.





J’ai pu interviewer le Staff Sergeant Devin Manak, 28 ans, originaire de Mont Belvieu, Texas.
- Comment et pourquoi êtes-vous venu à travailler dans la maintenance aéronautique? Quelle est votre spécialité ?
Depuis très jeune, j’ai été fasciné par l’aviation et désiré travailler dans ce milieu. Très rapidement, je me suis rendu compte que les grandes études n’étaient pas pour moi, et j’ai rejoint l’USAF pour travailler concrètement sur les machines.
Aujourd’hui, je suis Crew Chief, avec une spécialisation sur les systèmes hydrauliques et la structure. Etre Crew Chief cela veut dire que l’avion m’appartient et que les pilotes doivent me demander la permission pour me l’emprunter! Nous avons alors une discussion technique sur la maintenance et l’état de l’avion; c’est nous qui avons le dernier mot pour décider si le pilote est autorisé à voler avec!
- Quel est votre parcours au sein de l’USAF ?
Immédiatement après avoir fait mes classes à Lackland Air Force Base in San Antonio, Texas j’ai été transféré à Sheppard AFB pour ma formation sur avion. Je savais déjà, ce que j’attendais avec impatience, que j’allais pouvoir travailler sur cette formidable machine que tout le monde appelle affectueusement le “hawg” (déformation de “hog”, le surnom officieux “Warthog” du A-10C). Ma première affectation fut à Osan en Corée du Sud suivi par Nellis (Las Vegas) renouvelant ma motivation dans ce choix. Avoir été envoyé à Osan m’a permis d’apprendre très vite les bases du métier.
En arrivant à Nellis, j’ai pu prendre le grade de Senior Airman; cela m’a permis voir les choses avec plus de recul, prendre un rôle de leadership. Etant un gars qui préfère avoir les mains dans le cambouis, le besoin de “toucher” les avions étant trop fort, j’ai demandé une nouvelle mutation à Osan. Après cela j’ai été finalement muté à Moody, une base bien agréable quoiqu’on en dise!
- Est-ce facile d’entretenir un A-10C?
C’est un appareil extrêmement facile à utiliser et à travailler dessus. Pour avoir discuté avec des collègues sur d’autres machines qui se plaignent souvent de l’accessibilité ou autre, le A-10 est une bénédiction. Il y a amplement la place pour travailler confortablement, peu d’équipements à retirer pour accéder à celui désiré, il est très facile de se déplacer autour pour trouver la bonne position. Comme le Puma, c’est rustique, des câbles, du métal et peu d’ordinateurs, pas besoin d’ateliers spécialisés.
Un bon exemple est lors du dernier jour d’un exercice, alors que les chasseurs rentraient à la base, l’un d’eux a eu un souci au niveau d’un moteur. Nous n’étions que trois mécaniciens, un motoriste, un systémier et moi. Quelques heures à peine après être arrivée, la pièce de rechange fut installée, testée et confirmée opérationnelle. Je n’avais jamais eu de formation sur cet élément mais je suis sûr que je saurai le refaire si besoin.
C’est un avion qui a été conçu pour être entretenu et réparé rapidement, facilement, avec le minimum d’outillage nécessaire et de personnel spécialisé. C’est un véritable avion de combat prêt à recevoir et encaisser les coups durs.
- Après le A-10C?
Généralement, dans l’USAF, on ne change pas de machine jusqu’au grade de Technical Sergeant. Pour ma part, je ne suis pas pressé car en plus de devoir réapprendre tout ou presque, théorie et technique pour une nouvelle cellule, je crains d’avoir à faire moins de maintenance physique, les mains directement sur et dans la machine. Ce qui est cool, c’est qu’en tant que travaillant sur le A-10, on peut être amené à travailler sur le U-2.
Je ne sais pas de quoi le futur sera fait, si j’arrive jusqu’au grade de Technical Sergeant, mes possibilités d’évolution seront grandement élargies mais si je reste Staff Sergeant alors je serai certainement amené à travailler sur les avions de 4ème génération.





- Remerciements
Je souhaite remercier le Public Affair Office, en particulier TSgt Devin pour la préparation, et 1st Lieutenant Benjamin pour la journée sur base, qui m’ont permis de découvrir et d’entrer dans la base de Moody, de leur accueil, leur bienveillance, leur amabilité durant ces heures passées ensemble. Ce fut un plaisir d’échanger nos expériences et passions, depuis la préparation de la visite et durant cette journée. Merci pour cette extraordinaire opportunité. Je souhaiterais également remercier toutes les personnes qui ont permis cette visite, de près ou de loin, rendant cette journée aussi belle et intéressante. Merci également à Spot’Air pour ce reportage.























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