texte et photos Clément Ducasse
Mais que suis-je venu faire dans cette vallée en Anatolie Centrale ?
Nous sommes 7 amis de l’hôtel et après 3 heures de route dans la campagne turque, nous nous sommes retrouvés quelque 300 spotteurs en haut d’une colline, quelque part dans la vallée de la rivière Sakarya. Ce soudain rassemblement de spotteurs n’était pas le fruit du hasard mais d’une habile organisation. Quelques jours auparavant, nous avions été invités à participer aux festivités de l’anniversaire des 50 ans de présence du légendaire et charismatique F-4E Phantom au sein de la force aérienne turque. Cet appareil, bien que datant de l’époque de la Guerre Froide, est encore un élément essentiel pour la Turquie.
Un programme chargé
Programme annoncé : samedi, vols en basse altitude, et dimanche, visite de la base aérienne d’Eskişehir (1st Main Jet Base Command) qui abrite le 1st Air Wing (Commandement de combat aérien) de la 1st Air Force Command (Commandement tactique aérien). C’est sur cette dernière que résident les vénérables Phantom F-4E.
Samedi donc, nous arrivons vers 11h en haut de la colline. La route fut bonne malgré un ciel très chargé. Quelques ouvertures dans les nuages nous donnent bon espoir d’une belle journée. Au parking, le long de la petite route en terre, une ambulance est là ainsi que plusieurs gendarmes pour assurer notre sécurité. A notre arrivée en haut de la colline, les meilleures places sont déjà prises. Les sacs et manteaux des premiers arrivés marquent le territoire. L’endroit est rocheux, il a plu la veille, c’est très glissant. Quelques téméraires se rapprochent dangereusement du bord ; j’en resterai à bonne distance.
A Gauche, à Droite ?
Ma place prise, je fais fait les cents pas, cherchant toujours le meilleur angle. Viendront-ils de la gauche, de la droite ? Tous, nous faisons les cent pas, l’excitation augmente chaque minute. L’attente laisse le temps de faire connaissance. Je discute avec des Turcs, Anglais, Espagnols, Italiens, Néerlandais, Allemands, Maltais. C’est toute l’Europe qui est venue ! L’ambiance est excellente, ça discute, ça rigole. Rapidement, la colline semble trop petite, les derniers arrivés sortent leurs marchepieds et escabeaux pour voir par-dessus la première ligne.
Les rumeurs annoncent des passages à 12h, puis 14h, et finalement on se dirige vers une confirmation, ça sera 15h. A l’heure dite, tout le monde est à son poste. Deux points argentés apparaissent à l’Ouest, ils sont là !! Le silence se fait, tous veulent écouter sa majesté rugir !
Phantom Phorever
La première passe nous ouvre l’appétit, les appareils passent nonchalamment à plat. C’est la « reco axe ». Le premier est le 77-0303, superbement décoré pour l’occasion. C’est d’ailleurs son premier vol sorti de l’atelier peinture. Son extrados affiche les couleurs du drapeau turc, un croissant de lune et une étoile blanche sur un fond rouge écarlate. Cela tranche avec le reste de l’appareil entièrement noir. Son intrados quant à lui, affiche la devise de tous les afficionados de cet avion « Phorever Phantom » entourant la fameuse mascotte « Spook ». Son wingman, le 73-1052, le suit de près. S’ensuit une série de passes plus dynamiques les unes que les autres.
Au plus près
Les pilotes assurent le show, les WISO (officier système d’armes, en place arrière) ne sont pas en reste, et saluent les spectateurs à chaque passage. Les cellules sont bien sollicitées. Les vortex et les nuages de condensation sur les ailes sont bien présents, signe d’un fort facteur de charge. Nombre d’entre nous avions sorti les grands objectifs de peur que les avions soient un peu loin. Au contraire, ils sont tellement proches qu’on pourrait les toucher en tendant la main, ce n’est pas un téléobjectif qu’il faut, c’est un grand angle ! Après une dizaine de passes chacun et s’être magnifiquement dévoilé sous tous les angles, les deux appareils se présentent de nouveau pour un passage à plat. Cette fois, les deux équipages nous gratifient d’un salut militaire. Mission accomplie !! Le spectacle était phénoménal, phantastique, phabuleux !
La joie en partage
Tout le monde se regarde, abasourdis de joie, les sourires sont sur tous les visages. Les félicitations et superlatifs fusent. Après discussion avec les représentants militaires sur place, les pilotes ont attendu les éclaircies pour venir. Ils ne voulaient passer à l’ombre mais en plein soleil. Quelle journée !! Il est temps de rentrer à l’hôtel, la tête pleine d’émotions et de souvenirs, la carte mémoire de photos, les oreilles de rugissements et le nez de JetA1 brûlé.
Une histoire d’amour
L’histoire du Phantom au sein de l’armée de l’air turque remonte à juin 1974. La Turquie achète les 40 premiers appareils dans le cadre de l’accord Peace Diamond I. En 1977, un nouveau lot de 32 F-4Es et 8 RF-4Es (R pour reconnaissance) arrive. Les RF-4Es quittent le service actif en 2015. Par la suite, avec d’autres livraison, c’est un total de 233 Phantom, toutes versions confondues qui équipera la Turquie. Le Phantom équipera un grand nombre d’escadrons (Filo) de chasse (dont les 111 Filo « Panthers », 132 Filo « Daggers », 171 Filo « Pirates », 172 Filo « Hawk », et 173 Filo « Dawn ») et de reconnaissance (113 Filo « Gazelles ») et les essais en vol (401 Filo). La popularité de l’appareil était telle que les derniers exemplaires arrivèrent au cours des années 1990. Et ce, bien que le F-16, alors bien supérieur, soit déjà en service.
2020 en ligne de mire
Début 2000, une nouvelle version du Phantom fait son apparition au sein des Filo 111 et 171. Il s’agit d’une modernisation à mi-vie (MLU – Mid Life Upgrade) basée sur la version israélienne du Phantom, le Kurnass 2000. Cette modernisation donnera lieu à de profondes modifications tant structurelles que matérielles. De nouveaux systèmes d’armes et munitions sont alors implémentés. Ils permettent de conserver la pertinence de la cellule dans la guerre moderne. On citera rapidement un glass cockpit, un système HOTAS et un HUD grand-angle. Cette nouvelle version se fait appeler : le « Terminator », ou plus exactement le standard ‘Terminator 2020’. La mention ‘2020’ indique que cette version devait rester opérationnelle jusqu’en 2020 mais certaines décisions politiques en décidèrent autrement.
Toujours vaillant
En effet, le F-4E devait être remplacé par le F-35A. Mais quand la Turquie décida d’acheter de systèmes anti-aériens S-400 de fabrication russe, elle fut tout bonnement évincée du projet. Aujourd’hui, il est possible de voir le Phantom opérer jusqu’en 2030 le temps que la Turquie lui trouve un remplaçant. Ce dernier pouvant être le nouveau chasseur de dernière génération TAI Kaan, une production locale, bien que sa mise en service avant 2030 reste, au mieux, optimiste. Des discussions sur d’autres solutions seraient en cours dont l’acquisition d’un lot de 40 nouveaux F-16C/D Block 70 fighters, ainsi que la modernisation de 79 appareils au standard F-16V ; voire même l’achat de Typhoons d’occasion.
La Turquie, avec une flotte d’une quarantaine d’appareils, reste l’un des trois pays à utiliser opérationnellement le Phantom avec sa rivale la Grèce, et l’Iran, qui en disposent respectivement d’une vingtaine et une soixantaine. A ce jour, aucun contrat n’ayant été signé, le rugissement des General Electric J79-GE-17A n’est pas prêt de résonner dans l’Anatolie Centrale.
Bienvenue sur base
Le dimanche, nous rentrons sur base après les vérifications d’usage. Nous sommes plus de 700. Quatre Phantom, dont le décoré, décollent pour la démonstration du matin qui consiste en plusieurs passages de présentation au-dessus la base. Puis, pas moins de cinq machines sont au statique, sans barrière ni restrictions pour le plus grand bonheur des photographes. Un bidon blanc est également mis à disposition que chacun puisse venir le signer. Il est rapidement pris d’assaut, se couvrant de signatures et autres dédicaces. Il est également temps d’aller faire les achats. Une boutique éphémère propose de nombreux patches, T-shirt et casquettes. Sans surprise, une file d’attente se forme instantanément.
Toujours plus près
L’après-midi, la ligne de photographes s’est avancée. Nous ne sommes plus qu’à une poignée de mètres de la piste. Je me protège avec bouchons moulés et casque anti-bruit. Quatre appareils se présentent. Le décollage pleine PC à cette distance en surprend plus d’un. On ressent autant que l’on entend les moteurs rugir, l’air dans les poumons résonne à chaque décollage. C’est grisant ! Cette fois, ils « tirent » un peu plus lors de leurs passes et des vortex de condensation se forment, les « G » sont là ! Pendant ce temps, au sol, d’autres machines se mettent en route. Elles se dirigent vers le point d’attente de la piste. Les quatre premiers Phantom se posent. C’est alors que la pièce de choix se prépare : l’Elephant Walk.
La marche des éléphants
Il s’agit d’une formation au sol d’un grand nombre de machines pour démontrer la puissance d’un escadron ou d’une armée. C’est aussi l’occasion de célébrer un événement. C’est un événement relativement rare et c’est exceptionnel que d’y assister ! Pour nous, pas moins de 10 Phantoms s’alignent ensemble. La vue est magique. Lentement, ils remontent la piste, tous phares allumés. L’excitation est totale. Chacun redouble d’astuce et d’imagination pour trouver le meilleur angle, ne rien rater du spectacle.
Les militaires, donnent de la voix fermement mais avec le sourire, mais finalement ont bien du mal à empêcher les spotteurs de s’avancer. Je me retrouve carrément sur la piste ! En formation, puis un à un, les Phantom nous passent devant, les équipages saluant allègrement les photographes. Les deux derniers appareils appartiennent au 401 Filo qui n’est autre que le Centre d’Essais en Vol turc ! Quelle chance de les voir ! Bientôt, le dernier Phantom disparaît au loin, rentrant dans son abri.
Des étoiles plein les yeux
Il est temps pour nous rentrer. Merci et bravo à l’armée de l’air turque, aux encadrants, et toute personne ayant œuvré pour cet anniversaire parfaitement réussi. Cet anniversaire fut mémorable à tous les niveaux. Un voyage de dernière minute que pour rien au monde je n’aurai voulu rater.
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